La VSDéontologie

La semaine où j’intègre VSD, l’énergie de la rédaction est concentrée sur l’imminence de deux événements : la  première visite de Jean-Paul II en France et le tournoi de Roland-Garros. Je ne suis pas sollicitée pour le pape, mais j’assiste aux préparatifs. Enfin, je veux dire à la mise en scène.

Le magazine consomme à qui mieux mieux de la photo spectaculaire. Pour être sûr de ne pas manquer, il ne rechigne pas à la produire. C’est aussi le moyen – peu recommandable, je te l’accorde – de ne pas se faire coiffer au poteau par le concurrent redouté. Hé, Paris-Match, tu la vois celle-là ? Eh bien cours toujours, elle est à nous, tu ne l’auras pas.

Élaborée dans l’antre de Maurice Siegel et de son fox-terrier, la stratégie consiste à trouver une concierge (à l’époque, les gardiennes d’immeuble sont encore des concierges) dont la loge se situe sur une artère empruntée par le pape. On lui donnera des consignes pour qu’au premier regard elle soit identifiable comme « une femme du peuple » : coiffure, habillement, on ne craint pas de forcer le trait. Et on lui expliquera dans le détail ce qu’elle doit faire.

Il faut qu’elle ait des biceps, la concierge, car sa mission consiste à se frayer un passage dans la foule pour aller offrir un présent de poids au Saint Père : un agneau, gracieusement fourni par l’hebdomadaire.

Personne ne me raconte le scénario, ce sont des pratiques que le journal ne souhaite évidemment pas divulguer. Mais je parviens facilement à le reconstituer en laissant traîner mes oreilles de la mezzanine au plancher… On ne le dira jamais assez : un journaliste se doit d’avoir l’œil perçant et le pavillon extensible.

Pour ce coup-là, le pipotage a foiré. La petite dame n’a pas réussi à atteindre sa cible. Il faudrait vérifier en retrouvant le numéro de VSD, mais il me semble qu’on l’a tout de même photographiée avec son agneau sur les bras…

Dans ce même registre du journalisme d’opérette, je verrai quelques jours plus tard un photographe partir en « reportage » avec une drôle d’équipe. Des filles, avec des bas résilles, des jupes ultra mini et un maquillage outrancier. Le sujet du « reportage » ? La prostitution. Tiens, tiens.

Au bout d’une dizaine de jours, je sais que je vais m’en aller. Mon contrat me permet de partir sans préavis pendant toute la période d’essai. Il me reste donc un mois et demi pour assurer mes arrières. En attendant, je dois justifier mon salaire. J’ai échappé au pape, je suis bonne pour Roland-Garros.

Ils veulent une interview de Jimmy Connors. Tu ne sais pas qui c’est ? Un joueur américain qui a été N°1 au classement ATP. C’est une grande gueule, un turbulent. Et un gagnant potentiel du tournoi.

J’appelle le service de presse, on me dit que Connors s’entraîne et qu’il refuse toutes les demandes pendant cette phase préparatoire. Je répercute, et je fais beaucoup rire. J’ai la naïveté de penser qu’une interview est un échange entre deux personnes consentantes. Certes, quand on tombe sur un récalcitrant, il n’est pas interdit d’insister, mais je n’ai encore jamais harcelé. À VSD, quand on veut et que l’autre refuse, on planque devant chez lui, voire on s’y introduit, et si on vous met à la porte, vous rentrez par la fenêtre. Dans la boîte à outil du journaliste éconduit, il y a aussi le bouquet de fleurs – on le réserve aux femmes – et quelques appâts pour soudoyer les proches.

Soit je fais mon baluchon tout de suite, soit j’applique la méthode Coué, « c’est juste une expérience, c’est juste une expérience, c’est juste une expérience… ».

Jimmy Connors et ma copine Patti. C’est une photo de l’époque, mais aux Etats-Unis. Je n’ai gardé aucun article de mon excursion à VSD.

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Au petit matin, je suis en embuscade devant l’hôtel de mon Jimmy avec un photographe. Je ne sais plus combien on attend, je ne sais plus comment tout s’enchaîne, je me souviens juste de la honte. La filature mène à Roland-Garros. Il est avec son épouse et son fils qui s’installent dans les gradins pour assister à l’entraînement. Ne me demande pas comment je fais, je suis en mode automatique, mais je me retrouve assise à côté de Mme Connors et j’engage la conversation. Au bout d’une heure, Patti et moi nous sommes copines. Elle va intercéder.

Jimmy est ok. A une condition : qu’on ne prenne pas son fils en photo.

L’interview démarre et là, je me rends compte qu’il a un accent texan à couper au couteau. Je parle correctement anglais, je suis déjà moins à l’aise avec les Américains mais le texan, c’est impraticable. Je comprends une phrase sur deux, je suis en train de ruser pour qu’il répète quand tout à coup je vois un fil allumé relié à de la dynamite. Le photographe est en train de mitrailler son fils ! Je lance des regards furieux dans sa direction, j’essaie de rester concentrée sur ce que je ne comprends qu’à moitié, et en même temps je m’emploie à faire pivoter Jimmy pour qu’il ne soit pas dans l’axe de ce qui est en train de se passer. Je sors de là épuisée. S’ensuit une discussion musclée avec le photographe qui considère qu’il a seulement fait son boulot. Je laisse tomber, « c’est juste une expérience »…

A ce stade j’ai compris comment on cueille l’information à VSD. Je ne sais pas encore comment on cuisine sa retranscription.

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