L’homme sans chichis

A la télévision, il est aujourd’hui courant de « suivre » les gens. Tu as peut-être vu, ces jours derniers, le reportage sur la campagne d’Emmanuel Macron : un micro HF sur lui en permanence, une caméra discrète dans son sillage, des heures et des heures de rushes – on prend tout ce qui se présente, des jours et des jours de montage. A l’arrivée le produit est livré tel quel, sans commentaire pour expliquer ou lier les séquences. Il doit s’imposer de lui-même, sans qu’il soit besoin de le présenter.

C’est sur ce principe, appliqué aux artistes, qu’est construit Le Journal de la création.

Lorsque l’on prépare un documentaire classique, on le structure en amont. Avant qu’il n’existe en images, son chemin est tracé. Là, on part sans savoir. L’intérêt de ce qu’on va filmer, on ne pourra l’évaluer qu’après, car le sujet n’a pas besoin de nous pour s’inventer.

Sur le terrain, je suis couplée à un réalisateur. Il est essentiel de s’entendre, d’abord parce que l’on passe beaucoup de temps ensemble, y compris les soirées en province ou à l’étranger. Ensuite  parce qu’il y a des situations dans lesquelles on ne peut pas se parler et qu’il faut se comprendre sur un regard ou sur un signe. Ils sont deux, en alternance : Rémi Duhamel et Patrice Le Van Hiep. J’ai de la chance, je les aime tous les deux.

Pour mon baptême du feu, Rémi et moi partons à Montbéliard. Au programme : des repérages avec Jean-Pierre Mocky pour « Tout est calme », le film qu’il prépare.

Au téléphone, il m’a parlé de son scénario, une sombre histoire de confrérie avec de l’amour et des crimes. C’est assez confus mais je me dis que ça s’éclaircira. En réalité, dans cette intrigue, tout me semblera jusqu’au bout brouillon et chaotique.

Pour me remettre dans le bain, il y a quelques jours j’ai relu les critiques publiées quand le film est sorti. Dans Télérama, Pierre Murat restitue fidèlement ce que j’ai vu de l’intérieur. Pour justifier ce qu’il décrit comme un ratage, il conclut par ces mots : « C’est que Mocky, le pauvre, tourne ses films avec trois francs six sous. Et qu’à l’évidence, là, il manquait les trois francs »…

L’argent, c’est l’obsession de chaque instant. Dans tous les choix qu’il opère, le premier critère pour Jean-Pierre Mocky c’est le prix. Comme il s’autoproduit et que, de nature, il est franchement radin, il s’enthousiasme pour ce qui est gratuit.

A Montbéliard, nous visitons la forteresse dans laquelle il va installer sa secte, censée vivre en un lieu souterrain et secret. Il y a là quelques officiels, rapport aux autorisations. C’est un premier bon point : le décor ne lui coûtera rien. Il s’inquiète aussi des endroits où les acteurs pourront dormir et prendre leurs repas. Évidemment il cherche le moins cher, mais au moins il leur offre un lit. En ce qui le concerne, il estime qu’il n’en a pas besoin ; tout le temps du tournage, il dormira dans une école désaffectée. Avec son chien.

Pour la petite histoire, ce chien il ne l’a pas voulu. Il me confiera que c’est un cadeau de rupture, trouvé un matin sur son paillasson. Un autre que lui s’en serait probablement débarrassé, mais Mocky prend la vie comme elle vient : il n’avait pas de chien, eh bien il en a un…

Dès le premier jour de tournage, je comprends que « Tout est calme » ne figurera pas parmi les incontournables de sa filmographie.

D’abord, la plupart des acteurs sont insignifiants. On est loin, très loin des Michel Simon, Bourvil, Jacqueline Maillan, Jeanne Moreau ou Jean Poiret qui ont enchanté nombre de ses films. La seule tête connue, c’est celle de Noël Godin, l’entarteur belge, qui semble tombé là complètement par hasard.

Ensuite, il y a une pression permanente pour que chaque scène soit mise en boîte à la vitesse grand V. Sur n’importe quel plateau de cinéma, lorsque le metteur en scène dit « Moteur », on commence à tourner. Mocky, lui, lance le premier « Moteur » alors que ni les acteurs, ni les techniciens ne sont encore en place. À chaque fois le chef opérateur le lui fait remarquer, à chaque fois il s’énerve, crie, hurle des « Moteur » en rafales et finit au bord de la crise de nerfs. La première fois j’y crois, mais instantanément il se tourne vers moi, rigolard, et vient me glisser à l’oreille que c’est du chiqué, qu’il se conduit comme ça parce que sinon ça traîne, et que le temps, forcément, c’est de l’argent…

 

 

A un moment donné, il tourne une scène dans laquelle les personnages évoquent une histoire de passeports – qu’ils ont volés ou qu’ils ont falsifiés, je ne sais plus. Il est satisfait dès la première prise et s’apprête à poursuivre quand Edmond Richard – le directeur de la photographie qui tourne là son douzième film avec Mocky – lui dit que non, ça ne va pas. Pour lui, il faut que l’on voie  les passeports, parce que sinon on ne comprend pas. Mais Mocky ne veut rien entendre et considère que la scène est bouclée. Cela va nous permettre, avec Rémi, d’enregistrer une séquence d’anthologie : à l’heure du déjeuner, alors que le plateau est déserté, Edmond Richard récupère discrètement les acteurs concernés et va tourner les plans manquants. En cachette…

Chaque journée que nous passons sur le film, en préparation, en tournage, en montage, s’achève par un temps d’interview. Avec les autres, j’ai toujours l’impression qu’ils réfléchissent en même temps qu’ils répondent aux questions. Avec lui non. Sur ce qu’il fait, sur ce qu’il est, il s’exprime sans filtre, sans louvoyer, probablement parce qu’il se contrefiche d’être jugé.

Tout au long de notre collaboration, il me parle beaucoup de sa vie personnelle, de ses échecs sentimentaux et de cette solitude dont il voudrait sortir. Il cherche une femme et préfèrerait que ce ne soit pas une comédienne, pour ne pas se sentir obligé de l’inclure dans chacun de ses films. Un jour il me demande s’il y a quelqu’un dans ma vie. Je dis que oui, il dit alors tant pis. C’est un homme sans chichis.

Je n’ai jamais vu le film terminé. D’habitude il y a une avant-première, une fête à laquelle je suis conviée. Pas chez Mocky car depuis longtemps déjà, ses films sortent en catimini.

Celui-ci, c’est peut-être le plus mauvais. Mais pas loin de 20 ans après, je crois que je vais, quand même, m’offrir le DVD.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Moteur !

Comme chacun d’entre nous, je me demande parfois si j’aurais pu exercer une autre profession. La réponse est oui, forcément ; on se découvre, dans l’accomplissement, des aptitudes et des désirs insoupçonnés. Mais le journalisme a un avantage que je ne trouve à aucune autre : il recouvre une infinité de métiers. C’est une aubaine pour ma conception de « l’avancement » à l’horizontale et ma propension à tracer ma route en faisant des pas de côté.

Celui que je vais faire à l’automne 98 sera plus décisif qu’il n’y paraît.

Il se trouve que Jacques Nerson – mon ancien partenaire du Masque et la plume – est depuis quelque temps rédacteur en chef du Journal de la création. C’est une émission culturelle diffusée le dimanche matin sur La Cinquième (devenue France 5) et produite par Serge Moati. Je ne l’ai encore jamais regardée lorsqu’il m’appelle pour me proposer d’intégrer l’équipe. Tout naturellement je demande  » pour le théâtre ? », et je reste coite quand il m’annonce que pas du tout, c’est pour le cinéma. Il sait que c’est un domaine dans lequel je n’ai aucune légitimité mais il m’assure que cela n’a pas d’importance, que j’ai les compétences pour faire ce qu’il demande.

Il n’a pas tort : j’ai des yeux, des oreilles, pas mal de patience et une assez grosse faculté d’empathie. En fait, le boulot, c’est accompagnatrice.

Il s’agit de choisir un artiste et de le suivre sur un projet, de bout en bout. Depuis vingt ans, le concept a été maintes fois copié ou adapté, mais à l’époque il était novateur. L’émission aborde toutes les formes d’art et les traite de la même façon. À chaque fois, la relation avec l’artiste s’installe dans la durée, avec un bonus pour le cinéma car les étapes de la réalisation d’un film sont presque aussi nombreuses que les stations d’un chemin de croix (si tu es païen tu ne sais pas, il y en a 14)…

Évidemment j’accepte. Il va m’être donné de côtoyer le rêve, de le voir s’affronter à la réalité, d’être dedans en restant à côté. Je vais juste recommencer à jongler un peu avec l’emploi du temps. Les films se tournent rarement à Paris et je dois assurer mon émission tous les matins sur Radio Bleue. Il faut prévoir, enregistrer, donner parfois un gros coup d’accélérateur. Mais heureusement, de ce côté-là je jouis d’une entière liberté.

Une fois le marché conclu, je dois répondre à une question cruciale : qui ? Je ne peux pas démarcher au petit bonheur la chance. J’épluche « Le Film français » qui donne chaque mois la liste des films en préparation. C’est un indice, mais certains y figurent et seront retardés, voire annulés. Et puis je n’ai pas l’intention de foncer sur le premier venu, au seul motif qu’il a un planning compatible. C’est la première difficulté, et lorsque je l’aurai surmontée, il va s’en présenter une autre.

Réaliser un film, c’est assumer les responsabilités d’un capitaine de gros navire, gérer le temps, l’humain, le matériel, et simultanément, impérativement, rester connecté à sa propre vision. C’est loin d’être tranquille. Alors pourquoi s’encombrer, en plus, d’une équipe de télé attachée à ses basques ? D’autant qu’accepter notre présence, c’est l’imposer à tous, à commencer par les acteurs – et les actrices – qui sont souvent très pointilleux sur le contrôle de leur image…

 

Quelques-uns des films auxquels j’ai le sentiment d’avoir « participé »…

 

Une fois le contact établi, à chaque fois, j’entrerai dans une phase de négociation pour qu’une règle soit clairement définie. Nous, la télé, promettons d’être quasi invisibles. Pour moi c’est facile, ça l’est beaucoup moins pour le réalisateur qui m’accompagne et qui filme. Sans compter qu’il y a des situations dans lesquelles nous avons besoin d’un ingénieur du son, et de la grande perche qui va avec !

Nous nous engageons également à ne pas filmer ou ne pas diffuser une séquence si cela nous est expressément demandé. C’est un contrat moral, nous ne soumettons pas les reportages pour validation. Mais il y a aussi une clause contraignante pour la personne que nous suivons : à chaque étape, à l’issue de chacun de nos tournages, j’ai besoin d’une longue interview. Sur les phases préparatoires, cela ne pose pas de problème particulier, mais lorsque le film est en cours de réalisation, que les journées sont harassantes, interminables, cela pourrait s’apparenter à une torture.

Pourtant, aucun n’a jamais tenté de se défiler. Je me souviens notamment de Catherine Breillat commençant l’interview dans une chambre d’hôtel à 1h du matin et me parlant durant deux heures, sans laisser transparaître la moindre impatience…

Finalement, le premier, ce sera Jean-Pierre Mocky.

Et ce ne sera pas triste.

En vacances… (une fois n’est pas coutume)

Un mois d’avril de la fin des années 90, je pars quelques jours en Bretagne. J’ai enregistré une semaine d’émissions pour me permettre d’aller respirer.

Avec mon compagnon, nous avons loué une petite maison au bord de la mer, choisie sur le catalogue des Gîtes de France, et le lieu est paradisiaque. Nous échangeons quelquefois avec les propriétaires, un couple de retraités – manifestement fortuné – qui habite à proximité. Et qui finit par nous convier à une petite sauterie, « avec quelques amis ». C’est la tuile, car on est plutôt là pour se vider des autres, mais comment refuser ?

A l’heure dite, nous nous exécutons, résignés à faire la connaissance des notables du coin.

La première personne à qui je serre la main m’est présentée comme un « ancien ministre de la mer ». C’est inattendu, mais bon, la mer, la Bretagne, tout ça…

La deuxième est une navigatrice « qui vient de traverser l’Atlantique à la rame ». Effectivement, je l’ai vue à la télé. Rebelote pour l’inattendu, la mer, la Bretagne et tout ça…

Je salue ensuite un asiatique dont les traits me laissent à penser qu’il s’agit d’un Chinois.

Bien vu. A peine a-t-il le dos tourné que la maîtresse de maison me glisse à l’oreille que « c’est le fils de Tchou En-laï »…  Où suis-je ?

J’ai la vision de ce type, enfant, sautant sur les genoux de Mao Tsé-Toung et, simultanément, je commence à scruter les angles à la recherche de la caméra invisible.

Mais la cerise sur le gâteau, je ne la vois d’abord que de loin : un homme arpente le jardin, un téléphone mobile à la main. Lorsqu’il arrive à ma hauteur, mon impeccable hôtesse me décline son identité sur le ton de quelqu’un qui sait qu’il produit son effet. Le monsieur, c’est Patrick Le Lay.

A ce moment-là il dirige TF1 depuis déjà quelques années, sa puissance et sa notoriété sont à leur apogée.

Tu penses que si je te raconte cette histoire, c’est que cette rencontre va changer le cours de ma vie ?

Nenni.

Même dans ce contexte, en petit comité – nous ne sommes pas plus d’une douzaine – il est antipathique et donne le sentiment qu’à part son téléphone, rien ni personne ne peut l’intéresser. Son épouse, en revanche, se révèle communicative. J’ai un peu de mal à suivre car elle mentionne sans arrêt un « Bernard » dont j’ignore absolument tout. Quand « Bernard » -qui a l’air d’avoir des ennuis – a besoin de se reposer, il vient chez les Le Lay. Et la dernière fois, ce « pauvre Bernard » s’est réveillé dans une mare de sang parce que la chienne a fait une hémorragie. J’ai beau ne pas piger grand-chose, je prends un air de circonstance, tant pour  « Bernard » que pour la chienne. Ce n’est qu’au bout d’une heure, quand quelqu’un énoncera enfin son patronyme, que je comprendrai qu’elle me parle de Bernard Tapie !

Résumons.

Je pars une semaine pour rompre avec mon quotidien qui n’est fait que de rencontres avec des gens connus, des personnalités.

Je choisis exprès une maison isolée, en pleine nature avec vue sur la mer.

Et c’est là, à cet endroit, que je me retrouve aspirée par le flux de ce que je suis toujours parvenue à tenir à distance : les mondanités.

Une carte postale ancienne de Lancieux, où était la maison. (Je n’ai pas d’images personnelles, je n’ai jamais pris une photo de vacances).

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Depuis que je couvre l’ensemble du champ culturel avec mon émission de radio, je suis invitée presque tous les jours à un vernissage, une inauguration, le lancement d’un livre, d’un film, ou la remise d’un prix. Je n’y vais pas, et les doigts de mes mains suffisent à recenser les cocktails auxquels je me suis rendue tout au long de ma vie.

Et là tu te dis, quoi, comment, une journaliste ne doit-elle pas sans cesse enrichir ses « relations » et son « carnet d’adresses »? Une journaliste doit surtout savoir identifier les personnes qui peuvent l’informer, l’éclairer, l’aider à répondre aux questions qu’elle a décidé d’explorer. On ne tombe pas dessus miraculeusement en restant planté une coupe à la main, un sourire à la bouche.

Il en va de même pour les opportunités professionnelles. Ce n’est pas en disant bonjour à trois célébrités que l’on trouve du boulot. Pour cela, plus que les relations ce qui compte c’est d’avoir un réseau. Fondé essentiellement sur la reconnaissance de mon travail, le mien n’a jamais été étendu mais il s’est avéré solide.

C’est lui qui va me reconnecter à la télévision, ce n’est pas cette rencontre avec Mr Le Lay. Que je verse au dossier des innombrables farces que m’a réservées l’existence.

Ecrire pour l’oeil ou pour la bouche

Depuis que j’ai commencé à te raconter cette histoire, je ne fouille pas que ma mémoire. Je passe des heures dans les cartons, à rechercher des pièces à conviction, et ce que je retrouve n’est jamais ce que je crois avoir gardé.

Je viens de tomber sur un paquet de conducteurs (le conducteur, c’est la trame de l’émission couchée sur du papier, ce dont on se sert au micro mais aussi en régie, pour savoir quand il faut envoyer un son, une chanson…).

Ce sont ceux de « Par monts et par mots », l’émission qui remplace « A mots découverts » sur la grille d’été de Radio Bleue en 98.

C’est un projet qui n’est pas du tout adapté aux moyens dont nous disposons, et en décidant de le mener à bien, je nous impose un travail de titan, à Françoise et à moi.

L’idée, c’est de piocher dans les émissions des trois années qui viennent de s’écouler et de regrouper les extraits par thème : l’enfance, le travail, la famille, la vieillesse, l’amour, les racines, la religion, l’amitié, le rire, les larmes…

D’abord cela veut dire ressortir les bandes de l’INA, où elles sont conservées, et réécouter des heures et des heures d’émissions. Nous ne sommes pas encore à l’ère du numérique, les kilomètres de bande magnétique sont enroulés autour d’un noyau en métal, et gare à toi si tu casses la galette en la manipulant… Il faut repérer les passages que nous pourrons utiliser, les copier, les monter, les minuter. Et s’assurer que sur chaque thème l’ensemble est cohérent. Ensuite, il me reste à écrire l’enrobage, à construire les passerelles qui permettent de cheminer entre les points de vue et les témoignages.

Je m’amuse à tirer le fil qui va relier Michel Jobert à  Darry Cowl, François Nourrissier à Marthe Villalonga, Yves Coppens à Jean-Marc Thibault, Alexis Gruss à  la Comtesse de Paris…  Un fil que je rallonge ou que je raccourcis au moment où je vérifie si « ça rentre », le chronomètre à la main.

 

Première page – sur quatre – de l’une des émissions sur l’amour, avec Frédéric Dard, Georges Moustaki, Christine Gouze-rénal, Roland Petit, Anouk Aimée, Jean d’Ormesson, Didier Decoin, Alphonse Boudard et Jean-Pierre Mocky. 

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Lorsqu’on écrit pour être lu, le mot est nu. Il n’est paré que du reflet des autres mots que l’on pose à côté. La phrase ne doit rien au hasard, elle est ordonnée et pesée.

Écrire pour la radio, c’est autre chose. Trimballé par la voix, balloté par le rythme, modulé par l’intonation, le texte est taillé pour la bouche.

Pour le soumettre à l’effet que l’on veut en tirer, on gonfle le mot, on l’écrase, on le martèle, on le susurre… Il se retrouve accompagné d’un cortège de fioritures, des « hein », des « alors », convoqués à seule fin de lui insuffler de la vie.

Il y a de l’artifice dans la façon dont on s’adresse aux auditeurs, de fausses hésitations, des répétitions programmées, des naïvetés ou des indignations surjouées… (Je ne parle évidemment que des programmes, l’information, elle, est régie par d’autres codes).

Longtemps on a pu ignorer que parfois, attablé devant son micro, la femme ou l’homme de radio se démène, grimace et gesticule. Pour haranguer un auditoire dont on ne perçoit rien, l’outrance est nécessaire. Je préférais quand elle restait cachée.

Désormais, la radio est filmée, découpée, postée et repostée sur les réseaux sociaux. Lorsqu’il m’arrive de regarder, je me sens comme au restaurant avec une vue sur la cuisine… On entend beaucoup mieux en détournant les yeux.

C’est à tout cela que j’ai pensé en relisant ces conducteurs de l’été 98.

A ce moment-là, je suis en manque de l’écriture pour l’oeil. J’aimerais retrouver une vraie collaboration avec un journal, mais je ne cherche pas.

Je fais confiance à l’avenir, que je me suis toujours représenté comme un magasin de pochettes-surprise.

Dans la prochaine, celle que j’ouvre à l’automne, il n’y a pas de presse écrite.

J’ai tiré la télévision.

 

 

 

 

Juste une mise au point

Le 16 janvier dernier, ici même,  j’intitulais mon dernier billet Concordances de temps sans penser une seconde que ce titre pouvait être prémonitoire.

Ce jour-là, en effet, je t’ai parlé de mon unique article pour la Revue des Deux Mondes, en 1996. Comme il était possible que tu n’aies jamais entendu parler de ce très vieux – et peu visible – média, j’ai même pris soin de t’en dresser rapidement l’historique.

Je t’ai aussi expliqué que j’avais stoppé là ma collaboration parce que compte tenu du travail fourni, c’était vraiment trop mal payé.

Quelques jours plus tard, par le biais de l’actualité, plus personne ne pouvait ignorer l’existence de la Revue des Deux Mondes. Le Canard Enchaîné révélait que Pénélope Fillon, épouse d’un candidat à la présidentielle,  y avait été salariée durant vingt mois à raison de 5000 € mensuels, et que durant cette période (2012-2013) elle n’avait publié que deux petites notes de lecture.

J’ai recherché ma feuille d’honoraires pour en avoir le coeur net. Je l’ai trouvée. J’avais perçu 2 000 francs brut pour un article de dix pages.

Pour traduire les francs de 1996 en euros de 2012, je me suis fait aider par le site de l’INSEE. Leur outil de conversion est le plus crédible car il donne les équivalences en pouvoir d’achat.

Le résultat, c’est que mes 2 000 francs de 1996 valent 391,44 € de 2012.

D’un côté 100 000 euros pour deux petites notes de lecture, de l’autre 391,44 pour un article d’une dizaine de pages.

Alors j’ai pensé que oui, il y avait bien « Deux Mondes » et que cet écart le disait mieux qu’un long discours.

C’est pour cela que j’ai décidé de publier ma feuille d’honoraires sur Twitter, en mentionnant la correspondance monétaire. Comme il n’y a pas de raison, je te la montre aussi.

 

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Depuis trois jours elle a été retweetée des centaines de fois, le plus souvent avec des commentaires scandalisés.

J’ai été contactée par des journalistes qui voulaient m’interviewer. J’ai refusé, pour la simple raison que je n’ai rien à dire de plus. Je ne connais ni les gens, ni le fonctionnement de la Revue des Deux Mondes, je n’y ai même jamais mis les pieds.

Mais mon témoignage n’a pas plu à tout le monde. J’ai reçu des messages de personnes qui justifiaient ma rémunération par mon incompétence, qui qualifiaient mon article de « nul » ou qui jugeaient « qu’il ne valait pas tripette ».

Où donc avaient-ils pu le lire ?

On a aussi mis en doute l’authenticité de ma feuille d’honoraires en m’accusant de l’avoir « bricolée » et on s’est demandé « qui » était derrière tout ça…

C’est grotesque.

Je n’ai rien à cacher, l’article peut désormais être consulté ici.

Faut-il avoir peur du vent

 

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Et je reviens très vite – d’ici deux ou trois jours – à nos moutons.

 

 

 

 

Concordances de temps

François Mitterrand meurt le 8 janvier 1996.

InfoMatin aussi.

C’est une coïncidence et un effet de l’ironie du sort. En fixant à l’avance la date de dernière parution de son quotidien, André Rousselet ne pouvait pas savoir qu’il s’empêcherait, à un jour près, de rendre hommage à celui qui était son ami et dont il allait être l’exécuteur testamentaire…

Ce 8 janvier, alors que toutes les rédactions planchent sur un dossier spécial consacré à l’ancien président, les journalistes d’InfoMatin s’occupent à rassembler leurs affaires personnelles.

Le journal aura tenu deux ans. Il s’est stabilisé autour de 70 000 exemplaires, c’est insuffisant et Rousselet considère qu’il a perdu assez d’argent.

C’est la première fois que la disparition d’un média pour lequel je travaille ne remet pas en cause mon équilibre financier. Je perds une partie de mes revenus, mais il me reste l’essentiel, ce que je gagne à la radio. Il n’empêche, je suis très affectée.

J’aimais InfoMatin. Parce qu’il n’était ni racoleur, ni prétentieux. Parce que les rapports étaient simples avec Natacha Wolinski, qui dirigeait les pages Culture. Parce que le rythme contraignant de l’écriture au quotidien me faisait du bien.

 

La seule – petite – trace sur le Net du dernier numéro d’InfoMatin. info-matin-n-508-journal-du-8-janvier-1996-931195285_ml

Je sais que je n’ai aucune chance de retrouver un jour l’équivalent. Qui se risquera désormais à lancer un nouveau quotidien national d’informations générales ? Vingt ans après j’ai la réponse : personne. Je ne parle évidemment pas des gratuits dont le modèle économique repose à 100% sur la publicité…

Dans la foulée, j’aurai un appel du pied du Parisien. Je n’y répondrai pas, c’est un journal – surtout à cette époque – dans lequel je ne me reconnais pas.

Même s’ils sont moins étroits, je continue à entretenir des rapports avec la presse écrite. Je signe régulièrement dans Bleu magazine, un mensuel indépendant mais entièrement construit sur le contenu de Radio Bleue. Sur trois ou quatre pages, j’y dresse le portrait d’un de mes invités. Je n’ai jamais su qui lisait ça, mais l’exercice était plaisant.

En 1996 aussi, je fais un clin d’œil à l’Histoire en pigeant pour un monument : la Revue Des Deux Mondes. Ça ne te dit rien ? Fondée en 1829, elle est vraisemblablement la plus ancienne des publications toujours en activité en Europe.

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En fait, je ne pige pas, je contribue, car on ignore pratiquement tout ici des mœurs journalistiques. La revue a acquis ses lettres de noblesse au XIXe siècle en relayant les écrits des plus grands écrivains. George Sand y eut un temps un contrat d’exclusivité et on dit que Proust – qui la cite à plusieurs reprises dans À la recherche du temps perdu – rêvait d’y être publié. Les temps ont changé, la Revue Des Deux Mondes aussi, mais elle reste une antenne de la bourgeoisie cultivée, ne travaille qu’avec des « auteurs » et n’emploie pas de journalistes.

A l’occasion du 50e anniversaire du festival d’Avignon, je rédige un article d’une dizaine de pages sur le thème « Mettre en scène dans la Cour d’honneur ». Je contacte tous ceux qui s’y sont confrontés, je fais le tour des questions de fond et j’accumule les anecdotes. Bref, c’est un gros boulot. Et lorsqu’à l’arrivée on me fera savoir qu’on retravaillerait volontiers avec moi, je ne donnerai pas suite car je ne peux pas consacrer un temps aussi conséquent à une activité si peu rémunérée…

Simultanément, je fais un grand écart temporel : un pied dans le siècle d’avant, un autre dans ce qui augure du suivant. 1996 n’est pas seulement l’année où je souscris mon premier abonnement Internet (à très très  bas débit…), c’est le moment où j’apprends à travailler sur un nouveau support et où je découvre l’interactivité.

J’ai rencontré Sophie Davidas, une jeune femme très impliquée dans les nouvelles technologies qui s’apprête à éditer une revue multimedia sous forme de CD-ROMS, liée à l’actualité politique, sociale et économique. Elle cherche quelqu’un pour en assurer la rédaction en chef. Le projet m’emballe, et je resterai enthousiaste tout le temps de notre collaboration.

Le premier numéro d’Explicit est consacré à deux sujets : l’avenir du temps de travail en France et l’organisation de la démocratie aux Etats-Unis. En fouillant Internet, j’ai retrouvé le témoignage d’un prof qui explique parfaitement de quoi il s’agit :

« Les deux dossiers documentaires sont composés de textes (des définitions), de graphiques et de clips vidéo présentant des points de vue d’auteur (…). Une biographie sur chacun des intervenants est accessible, de sorte que l’on peut connaître l’origine des points de vue développés. Ces caractéristiques en font un des rares documents réellement multimédia portant sur des questions économiques et socio-politiques ». (Laurent Merle, professeur de SES au lycée Jean Monnet, Blanquefort, Gironde).

Sophie a décroché un partenariat avec France Info et La Cinquième (qui deviendra France 5) et le lancement a lieu sous les meilleurs auspices. Il faudra pourtant se rendre à l’évidence quelques semaines plus tard : le concept n’a pas trouvé son public et il n’y aura pas de numéro deux. Cela restera pour moi une très belle expérience.

En 1997, ce sera plus calme, je me consacrerai presque entièrement à l’émission. Mais en 1998…

 

Introuvables fichiers

Je ne vais pas te raconter d’histoires, je ne suis pas pétrie d’admiration pour tous mes invités. Certes, j’ai le privilège de pouvoir rencontrer à peu près qui je veux, pour peu qu’il soit dans les parages et qu’il parle français. Mais chaque jour il me faut un nouveau partenaire et, à ce rythme quotidien, je ne brûle pas de désir pour chacun…

En règle générale, j’ai un écrivain par semaine, je veux dire quelqu’un censé produire de la littérature, et un autre invité qui a écrit un livre. Parfois c’est un essai, parfois une autobiographie. Cela fait deux ouvrages à lire, mais la somme de travail est loin d’être toujours la même. La semaine où je dois m’avaler le dernier roman de Paolo Coelho et la vie de Régine, c’est tranquille. Celle où je reçois Philippe Sollers et Edgar Morin, je dors moins. J’ai eu parfois entre les mains des pavés de 500, 600 pages, je les ai toujours lus « pour de vrai ». Par conscience professionnelle ou par amour-propre, ce qui revient exactement au même.

Après, il y a les artistes : le cinéma, les arts plastiques, le théâtre et la danse sont des viviers inépuisables.

Enfin, tous les autres. Ils sont navigateurs, cuisiniers, designers, sociologues, jardiniers, journalistes, philosophes, rabbins, médecins… Et parfois politiques, mais ceux-là, je les aime retraités. D’abord parce qu’un Mauroy ou un Messmer n’auraient jamais parlé si librement lorsqu’ils étaient Premier ministre. Ensuite parce que lorsqu’ils sont aux affaires, il faut les laisser à leur place, dans les émissions où il n’est question que de leurs dossiers.

Seuls les sportifs sont impossibles à décrocher : perpétuellement en compétition ou en phase d’entraînement, ils n’ont pas le temps.

Lorsque l’on est à cours d’idée ou qu’aucune des personnes contactées n’est libre le jour concerné, Françoise et moi puisons allègrement dans notre réservoir.

Il porte un nom : c’est la télévision. La plupart des gens de télé ne résistent pas à la perspective d’une heure qui leur sera entièrement consacrée…

 

Laurent Terzieff, le seul qui ait été photographié pendant l’émission. On commençait à utiliser des téléphones mobiles, mais ils n’avaient pas encore d’appareil photo intégré… Photo Roger Picard, Radio-France.

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Cinq ans et demi. C’est le temps qu’a duré l’émission. Et tu te dis que forcément, je dois avoir des tonnes de choses à raconter.

Sans doute, je devrais, je me le dis aussi. Mais le fait est là : je ne me souviens vraiment que de quelques-uns….

De François Debré, reporter de guerre, fils de Michel, frère des jumeaux, homme friable malencontreusement né dans une famille coulée dans du béton armé. Il se battait contre son addiction à l’héroïne. De tous, il est celui qui m’a le plus touchée.

De Max Gallo, ancien communiste, ancien socialiste, ancien sarkozyste, aujourd’hui écrivain et Académicien. On n’oublie pas l’outrecuidance d’un homme qui vous assène à deux reprises qu’une femme qui n’a pas d’enfant n’est pas une femme.

De Bernadette Laffont, actrice fêlée qui avançait avec un bouclier. Gangrénée par un paradoxe, la conversation avait viré pour moi au numéro de funambule. Tous les mots de sa liste étaient en relation avec sa fille, décédée peu auparavant, et il m’était apparu évident, dès les premières minutes, qu’elle ne parviendrait pas à en parler.

De Françoise Giroud, icône chanceuse d’un journalisme révolu, ancienne ministre misogyne de la condition féminine. En répondant pratiquement à toutes mes questions par oui, non, ou peut-être, cherchait-elle à se venger des 40 années qui nous séparaient ? C’est en tout cas ce que son regard me disait.

De Frédéric Dard, écrivain prolifique, personnage tendre et cabossé. La rencontre la plus  fusionnelle. Il est le seul qui, pendant les pauses, m’ait posé de vraies questions sur moi. Avant de partir, il a griffonné sur mon livre la plus belle dédicace dont je puisse rêver. Je la conserve précieusement – et secrètement.

De X, aristocrate, journaliste et écrivain plusieurs fois retoqué à l’Académie Française et à mon émission. J’aurais oublié ses coups de fils insistants s’il s’était exonéré du ridicule d’une autre dédicace, rédigée à seule fin de se faire inviter et que, celle-ci, je livre volontiers : « A Sylvie Nicolet, l’égérie des lettres »…

De Jean-Pierre Mocky, cinéaste à la va-comme-je-te-pousse. Il avait refusé ce jour-là de dévoiler le nombre de ses enfants, « parce que les gens ne comprendraient pas ». Plus tard, j’aurai l’occasion de le fréquenter dans d’autres circonstances et il me le dira. Alors oui, effectivement.

D’Albert Jacquard, polytechnicien, généticien, défiguré par un accident dès l’enfance, transfiguré par la bonté jusqu’à la fin. Jamais, depuis, je n’ai croisé quelqu’un qui irradie à ce point l’optimisme. Ce petit homme – qui était déjà vieux – ne ménageait pas ses efforts pour essayer de recréer le monde. Il avait un moteur, il aspirait à « être beau dans le regard des autres ».

De Bernadette Chirac, « épouse de », parvenue à asseoir sa propre notoriété en collectant des picaillons. On n’a pas beaucoup rigolé, mais tu me diras qu’une heure, c’est vite passé. Sauf qu’après j’ai dû enchaîner avec un déjeuner dans la salle à manger privée du Président de Radio France, en l’occurrence Jean-Marie Cavada. J’ai pensé que ce traitement faisait partie du protocole pour les ex- Premières dames. Mais quand j’ai reçu Danielle Mitterrand, j’ai attendu, rien n’est venu.

Je pourrais peut-être t’en citer encore une dizaine, mais cela resterait bien pauvre rapporté au millier.

Où sont passés les autres ?

En m’escrimant à rassembler ces souvenirs pour toi, j’ai compris quelque chose.

Chaque jour à midi, quand l’émission était finie, j’essorais ma mémoire. Je me vidais du fichier désormais inutile pour faire de la place au suivant.

Si j’avais tout gardé de ces mille et une vies, j’aurais buggé.

 

 

 

 

Si elle revient, j’annule tout

C’est un jour de juillet, dans les locaux du Conservatoire de musique d’Avignon. Chaque année, c’est là que Radio France prend ses quartiers et installe ses studios pour la durée du festival.

J’attends Charles Berling, avec qui je dois enregistrer À mots découverts pour le lendemain matin. J’aime l’acteur, que j’ai commencé à suivre au théâtre bien avant qu’il ne soit courtisé par le cinéma, mais je ne connais pas l’homme.

Je le guette du haut de l’escalier et lorsqu’il apparaît, j’identifie immédiatement la jeune femme au regard de chat qui est accrochée à son bras. Elle n’est encore ni chanteuse, ni femme de président, mais son portrait s’affiche à la Une de tous les magazines.

Oui, c’est Carla Bruni.

Je suis surprise car la rumeur de leur liaison n’a pas cheminé jusqu’à mes oreilles. Sa réalité, en revanche, va me crever les yeux…

Elle est charmante, et me demande sur un ton enjôleur si elle peut rester dans la pièce avec nous, le temps de l’émission. Normalement, c’est non. Je tiens à être seule pendant une heure avec l’interviewé pour que la connexion ne soit pas perturbée, notamment pendant les pauses musicales. Souvent, c’est durant ces plages « hors micro », quand la conversation prend un tour informel, que s’instaure le lien qui permettra d’aller plus loin.

La règle, c’est que les accompagnateurs assistent à l’entretien de l’autre côté de la vitre, en régie.

Le hic, c’est que là nous sommes dans une salle de classe, pas dans un vrai studio, et que la régie est derrière un mur qui n’est pas transparent… Alors je me laisse infléchir, mais j’explique à Carla qu’elle doit se faire petite et ne pas bouger de sa chaise, installée dans un coin où on ne la voit pas.

Elle promet. Ça démarre.

 

Un article dans TéléObs, que je n’ai pas daté. 

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Les dix premières minutes sont toujours consacrées à l’actualité de la personne que je reçois. Nous devisons sur Oedipe Tyran, la pièce de Sophocle que Berling joue dans la Cour d’honneur, et le contact s’établit. Lorsque j’envoie le premier disque, j’ai presque oublié que derrière moi, il y a Carla.

Dès les premières notes de musique, elle me rafraîchit la mémoire en bondissant sur les genoux de celui qui, à cet instant, ne devrait être qu’avec moi.

J’hallucine. Je suis assise à un mètre de Charles Berling mais je ne vois plus que le dos de Carla Bruni qui l’étreint, l’embrasse, le caresse, en murmurant des phrases dont je saisis des bribes, comme « non non, ce n’est jamais trop ». C’est torride, totalement indécent,  et si Charles et moi sommes en ébullition, ce n’est pas tout à fait pour les mêmes raisons…

Je suis furieuse.

J’attraperais bien le petit chat par la peau du cou pour le replacer là où il était. Il me vient aussi l’image du seau d’eau qu’on balance sur les chiens quand ils peinent à se séparer. J’ai d’abord l’espoir que Berling se ressaisisse, mu par un sursaut de dignité, de bienséance ou simplement de professionnalisme, mais il est envoûté. Ses genoux – et ma vue – ne se dégagent qu’au terme de la chanson, lorsque la voix du technicien prévient qu’on arrive à la fin.

Quatre fois, j’enverrai la musique ; quatre fois, elle donnera l’assaut, et je n’échangerai pas un seul mot avec mon invité en dehors du micro.

J’ai évidemment la tentation de remettre les pendules à l’heure. Mais si je le fais, c’est couru d’avance, elle va le prendre par la main et lui dire « on s’en va ». Il est 18h et la diffusion est prévue pour le lendemain matin. C’est beaucoup trop tard pour le remplacer.

Au fil de mes rencontres, j’ai vu et l’on m’a dit des choses dont je ne te parlerai jamais, parce que je ne m’y sens pas autorisée. Je respecte la vie des gens si elle n’empiète pas sur la mienne. En l’occurrence, je n’ai pas le moindre scrupule à raconter cet épisode : ce jour-là, Carla Bruni n’a pas seulement saboté l’émission, elle a confisqué mon travail et mon identité. En agissant comme si je n’étais pas là, elle m’a signifié que je n’étais personne.

Se serait-elle comportée autrement si elle avait compris que je n’étais pas la seule spectatrice de ses débordements ? Dans ce studio improvisé, il y avait une caméra, juste pour que les techniciens me voient quand je lançais les disques.

Toute la régie a profité du show.

Chaque jour, la vie d’un autre

A dix heures du matin, dans le taxi j’écris. Je dresse un petit portrait de mon invité(e) pour ouvrir l’émission qui a lieu en direct entre onze heures et midi. Je le fais au dernier moment parce que c’est une façon de mettre le contact juste avant la rencontre. La veille, j’ai passé deux, trois, parfois quatre heures sur le dossier, la nuit m’a permis de le digérer.

Quand je dis le dossier, c’est au sens propre. Sur la chemise cartonnée il y a le nom de la personne visée. A l’intérieur, le nombre de feuilles de papier varie en fonction de son âge, de sa notoriété. Ce sont des photocopies d’articles publiés dix, vingt, trente, voire quarante ans auparavant. Parfois c’est très épais mais je lis tout, y compris ce qui sur le fond semble sans intérêt. C’est là que je glane les détails, les petites choses qui l’air de rien ouvriront des voies lors de l’entretien.

Ce dossier, c’est Françoise qui l’a constitué. Françoise Monteil, mon « assistante ». C’est ce qui est écrit sur sa feuille de paie, mais le mot déforme la réalité. Elle ne « m’assiste » pas, nous formons un binôme au sein duquel chacune a sa part de travail.

C’est elle qui décortique la presse à la recherche d’invités dans l’actualité. Qui convainc les attachés de presse que même si Bidule est très occupé, il a forcément un trou dans son agenda. Qui gère et équilibre le planning de l’émission, y compris lorsque  – parfois la veille – il tombe une annulation. Qui passe des heures à la Documentation de Radio France, à rassembler les pièces de nos fameux dossiers… Et comme si cela ne suffisait pas, je vais lui compliquer la tâche.

 

Photo prise par Roger Picard, le photographe de Radio France, durant une émission

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Au début, l’émission s’intitule « Fenêtre ouverte » et se déroule sur le mode d’une interview classique. Je ne suis pas dupe, je sais que pour les personnes que je reçois, Radio Bleue n’est qu’une case dans un plan média : elles sont en promotion d’un livre, d’un film, d’un disque, d’un spectacle ou d’une exposition. Tu te demandes pourquoi on ne les invite pas à un autre moment ? Tout simplement parce qu’elles ne viendraient pas. Quel que soit le domaine dans lequel il s’est fait un nom, l’invité potentiel a une vie bien remplie. Il ne s’amuse pas, sans raison, à courir les radios et les télévisions.

Alors je vais ruser pour qu’il aborde cette émission avec un intérêt particulier. En l’obligeant à travailler…

Quelques jours avant notre rendez-vous, il doit me faire parvenir un abécédaire, une liste de mots qui, pour lui, sont évocateurs. Ce sera le fil rouge de notre conversation.

J’avoue qu’au départ j’ai craint que cela n’en rebute quelques-uns. Mais non, ils s’exécutent sans rechigner et généralement dans les temps…

De mémoire, sur le principe il n’y a eu qu’un refus. Je revois Françoise au téléphone qui dit bonjour, se présente, commence à expliquer… Maria Pacôme ne la laisse pas finir : elle dit « j’aime pas les jeux » et lui raccroche au nez. On n’a pas insisté.

Désormais l’émission s’appelle « À mots découverts » et ce titre, je vais le prononcer près d’un millier de fois.

Ces jours-ci, j’ai pris un crayon, un papier, et j’ai essayé de me souvenir spontanément du plus grand nombre possible de mes invités. J’étais plus près de la centaine que du millier…

Pour me rafraîchir la mémoire, je suis allée sur le site professionnel de l’INA, l’Institut National de l’Audiovisuel, et j’ai tapé mon nom.

 

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Tout est là, mais rien ne m’est accessible. Le site est réservé aux médias, qui paient un abonnement pour le consulter et utiliser ses contenus. Je peux voir la fiche de chaque émission, je ne peux pas l’écouter.

Alors patiemment j’ai relevé les noms. Ce qui m’a frappée en premier, c’est le nombre de disparus.

J’ai vu passer Cabu et Wolinski, Annie Girardot et Jean-Claude Brialy, Frédéric Dard et François Cavanna, Claude-Jean Philippe et François Chalais, Daniel Gélin et François Périer, Bernadette Lafont et Marie-France Pisier, Claude Chabrol et Robert Enrico, Igor Barrère et Pierre Dumayet, François Nourissier et Henri Troyat, Ménie Grégoire et Laurence Pernoud, Pierre Vassiliu et François Béranger…

Et Jules Roy, Bernard Clavel, Albert Jacquard, Édouard Boubat, Marc Riboud, Jacques Villeret, Darry Cowl, César, Arman, Roger Hanin, Robert Laffont, François Maspéro, Danielle Mitterrand, Françoise Mallet-Joris, Marie Cardinal…

J’arrête là.

Je regarde la liste en entier, celle qui comprend les morts et les vivants, je prends le temps de m’arrêter sur l’un, sur l’autre. Je retrouve un ton, une impression, une phrase, parfois une émotion.

J’ai oublié beaucoup, mais je laisse encore infuser et je reviens te raconter.

Mon nouvel horizon

Peu après son premier anniversaire InfoMatin déménage, et désormais je peux y aller à pied. Le quotidien a repris les locaux de l’ Evénement du jeudi, à quelques mètres de Libération. Dans ce tout petit périmètre, j’aurai connu trois rédactions…

A vrai dire, je n’y vais que pour apporter mes disquettes. Je n’ai de contact qu’avec Natacha Wolinski, qui dirige le service culture, et je ne participe en rien à la vie du journal. En quelque sorte, je suis un fournisseur. Je livre en temps et en heure, je m’assure de la satisfaction du client, mais je ne me mêle pas de ses affaires.

Je croise parfois d’autres pigistes, dont un collaborateur du service politique. Il est terne, effacé, je l’aurais oublié s’il m’en avait laissé le choix. Mais peut-on faire comme si Éric Zemmour n’existait pas ? A l’époque il écrit un billet quotidien sur la campagne des présidentielles. Et je n’en pense rien car je ne le lis pas.

 

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Au journal, 95 va être une année agitée, avec des soucis financiers, des dissensions croissantes entre André Rousselet et la rédaction. Mais du tumulte je ne perçois que les bruits assourdis. Je suis à l’extérieur, et il se trouve que depuis janvier, pour moi, l’extérieur s’est sensiblement densifié…

J’ai quitté Europe 1. Avec un petit pincement au cœur car je m’y sentais bien.

J’ai repris le chemin de la maison ronde parce qu’il m’était impossible de refuser ce que l’on m’y offrait.

Tu te souviens du vieux d’avant ? Celui pour qui je courais mon journal à la main dans les couloirs de Radio France à 8 heures du matin ? Il fallait s’y attendre, il est mort. Et avec lui toute la génération qui, branchée sur les Ondes Moyennes, écoutait Damia et Fréhel.

Radio Bleue, elle, a survécu, mais ce n’est plus la même. Elle a désormais sa place sur la bande FM et les « seniors » – qui restent sa cible privilégiée – ne sont plus que les parents éloignés de ceux pour qui elle a été créée. Ils  n’ont pas subi la fracture des années 60, ils l’ont accompagnée ; ils connaissent les Beatles et Michael Jackson, suivent l’actualité et sont capables de la décrypter.

Fondée sur un principe de solidarité sociale, la station n’a plus de mission spécifique et son profil tend de plus en plus vers celui d’une radio généraliste. C’est d’ailleurs ce qui la condamnera à terme, puisque Radio France a déjà France Inter…

Mais nous n’en sommes pas là.

J’y retourne à la demande de Françoise Dost, qui dirige toujours la radio. Elle m’offre une aventure qui, pour moi, est encore inédite : un entretien quotidien d’une heure avec une personnalité. Ce seront majoritairement des artistes et des écrivains, mais j’inviterai aussi des scientifiques, des politiques, des journalistes, des architectes ou des grands cuisiniers… Je jouis d’une totale liberté.

Pour quelqu’un comme moi, qui n’aime rien tant que poser des questions, c’est une formidable opportunité. D’autant qu’elle arrive au moment où je ressens l’urgence d’ouvrir mon horizon. Cela commence à faire longtemps que je ne parle et n’écris que sur le théâtre alors que je n’ai jamais aspiré à avoir une spécialité. Si j’ai choisi d’exercer ce métier, c’est justement pour ne pas être confinée, pour aller au plus près de tout ce qui est approchable, et avoir l’illusion de vivre cent vies à la fois.

Avec cette émission, je suis confrontée chaque jour à un individu à découvrir, à une connaissance à approfondir. Un nouvel objet, un nouveau sujet…

Je me sens comme un poisson dans l’eau, et je ne m’en plains pas mais ce n’est pas une eau dormante. Le flux est continu, j’ai intérêt à suivre le courant.

Pour que l’entretien soit nourri, je me dois de savoir qui est la personne avant de l’aborder, quel a été son parcours, comment elle est devenue ce qu’elle est. En plus, elle a toujours une actualité :  c’est un livre, un film, un spectacle, ou une exposition… Il va de soi que je l’ai lu, que je l’ai vu.

Je travaille au moins douze heures par jour, mais vu de l’extérieur je n’ai que des loisirs. Mon boulot, c’est d’enchaîner les activités que les autres font par plaisir : bouquiner et sortir. À un rythme effréné.

Quelle que soit ma journée elle s’achève au théâtre et je dois aussi trouver le temps d’écrire les trois ou quatre articles que  je continue à livrer chaque semaine à InfoMatin.

Qui va mal, et dont l’avenir est de plus en plus incertain.

Du tout-venant et de l’exceptionnel

Ces jours derniers j’ai sorti des cartons mes vieux numéros intacts d’InfoMatin et des dizaines d’articles découpés. Stupeur : certaines de mes critiques concernent des spectacles que j’aurais juré n’avoir jamais vus. Est-ce qu’à trop embrasser on devient oublieux ?

Pour la première fois je me suis posée la question : combien de fois, dans ma vie, suis-je allée au théâtre ? J’ai pris un papier, un crayon, j’ai aligné les années et j’ai multiplié. Le résultat, c’est que cela ne peut pas être moins de trois mille cinq cents fois.

Trois mille cinq cents histoires d’un soir, dont la plupart ont été sympathiques, comme l’encre du même nom. Mais j’ai aussi, tatoués à l’intérieur, au niveau de la tête ou au niveau du cœur, des images et des mots qui ont agi comme des révélateurs.

Depuis longtemps déjà, les journaux ne paient plus quelqu’un exclusivement pour écrire des critiques, dans quelque discipline que ce soit. J’ai connu l’un des derniers « anciens », Pierre Marcabru du Figaro, avec qui il m’est arrivé de dîner chez une amie commune. Pour lui, il n’était pas question de rencontrer les acteurs ou les metteurs en scène, même dans un cadre professionnel, pour une interview ou pour un portrait. Il tenait à conserver une distance, pour éviter qu’un facteur affectif ne vienne nourrir ou contrecarrer son jugement. Je comprenais, mais son attitude était celle d’une génération qui avait un autre statut. Jadis, le critique était un connaisseur, un expert, souvent un écrivain, parfois un universitaire ; il n’était jamais journaliste. Il dialoguait avec ses pairs et interrogeait les règles de l’art plutôt que ceux qui les mettent en pratique.

La critique est un exercice qui oblige à acquérir des connaissances, à les organiser pour éclairer ses réactions, ses sensations, et qui mène, finalement, à cerner de plus près qui on est. C’est un travail solitaire qui fait la part belle à l’introspection. En quelque sorte, c’est le contraire du journalisme, et je ne pourrais m’en satisfaire s’il n’y avait justement les interviews, les portraits, les rencontres…

J’ai besoin de la parole et de la chair de l’autre, et je me sens capable de faire la part des choses.

Exemples.

Je dois consacrer un long article à Michel Blanc, il me donne rendez-vous au bar d’un grand hôtel. Le contact s’avère difficile. Il est aussi chaleureux que le glaçon qui surnage dans son verre de whisky. Il en boit deux et prend congé en laissant l’addition (non, je n’ai pas de notes de frais). Bien que l’homme me soit apparu inélégant et dédaigneux, je ne cesserai jamais de penser – et d’écrire – qu’il est un acteur formidable.

A l’inverse, je ressens une infinie tendresse pour Charlotte Gainsbourg qui ressemble encore à une adolescente et qui ne ménage pas ses efforts pour essayer de répondre à mes questions par autre chose que le « je ne sais pas » qui lui vient d’abord à la bouche. Ce n’est pas pour autant que je serai convaincue lorsque je la verrai sur les planches pour la première (et dernière) fois…

Ces rencontres, je les redécouvre aujourd’hui en parcourant les articles exhumés, et je m’aperçois que comme pour les spectacles, les doigts d’une main suffisent à compter les inoubliées, les inoubliables.

La page Théâtre que je reproduis ici, je ne l’ai pas choisie par hasard. Depuis plus de vingt ans je pense régulièrement, vraiment régulièrement, à la conversation que j’ai eue ce jour-là avec Michel Bouquet. Il se livrait avec une rigoureuse simplicité et je n’avais encore jamais entendu quelqu’un exprimer ce qu’il me disait, sur la vieillesse, sur la détresse. Nous n’avons passé que deux heures ensemble ; elles m’ont profondément marquée.

 

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InfoMatin s’est imposé en quelques mois dans le paysage de la presse quotidienne. Son prix (3 francs au lieu de 6 ou 7 pour ses concurrents), son format novateur et l’impression tout en couleur semblent accrocher le public visé. Certes, les ventes restent insuffisantes pour prétendre à un équilibre mais tous les espoirs sont permis : à l’été 94, le journal a vu entrer au capital un nouvel actionnaire, et l’homme est d’envergure. Le patron désormais, c’est André Rousselet, fraîchement débarqué de Canal +, la chaîne qu’il a créée dix ans auparavant.

Pour le moment, je n’ai pas d’inquiétudes. InfoMatin poursuit son bonhomme de chemin et tout va bien à Europe 1.

A priori, l’année 95 devrait être en tout point semblable à 94.

Mais tu as déjà deviné qu’elle ne le sera pas.

Retrouvailles

Tu as sans doute remarqué qu’il était presque plus important aujourd’hui de savoir rédiger un CV  que de savoir faire son métier. C’est un exercice que je ne maîtrise pas du tout, probablement parce qu’il fut une époque où ce n’était pas nécessaire.

J’ai vendu des articles, proposé des sujets, sans être obligée de séduire à travers une image que, de toute façon, je n’ai jamais su construire.

En novembre 1993, à 39 ans, je m’y colle pour la première fois.

Je viens de lire dans Libération qu’un nouveau quotidien était en gestation. L’article est succinct. Il mentionne une équipe « menée par des hommes issus du marketing et de la publicité » et un journal élaboré au terme d’une étude sur « les jeunes urbains actifs non lecteurs de quotidiens ».

C’est un drôle de pari car le bon vieux réflexe matinal du passage au kiosque a du plomb dans l’aile : après l’enterrement du Matin, c’est le Quotidien de Paris qui vacille (il cessera de paraître définitivement en 1996) et cette désaffection n’est alors imputable ni aux chaînes d’info, ni à Internet. Pourquoi les lecteurs se font-ils de plus en plus rares, en particulier chez les jeunes ? La réponse de nos publicitaires, c’est qu’un journal c’est trop long, trop triste, et trop cher. Un nouveau concept forgé sur ce constat devrait restaurer l’appétence…

Je décide immédiatement d’écrire : je cherche une collaboration complémentaire à Europe 1 et je n’ai jamais su résister à l’odeur du neuf. Mais écrire à qui ? Comme Libé ne donne ni nom, ni adresse, j’appelle le journaliste au risque de me faire envoyer paître. Il est charmant et j’obtiens les renseignements.

Dès le lendemain j’expédie le fameux CV – tout bancal – à Marc Jézégabel, le rédacteur en chef, accompagné d’une lettre dans laquelle je propose mes services, évidemment pour le théâtre.

Dans les jours qui suivent j’y pense beaucoup, puis un peu moins, puis plus du tout.

Dans un secteur où les créations d’emplois sont pratiquement inexistantes, les postes se pourvoient par copinage, par relations. Je le sais, et je visualise parfaitement ma lettre froissée au fond d’une corbeille à papier.

Je me trompe.

Le coup de fil arrive fin décembre, une quinzaine de jours avant la parution du premier numéro. L’équipe est constituée mais si je veux piger, il y a des besoins en théâtre…

10 janvier 1994, le premier numéro d’InfoMatin. C’est une photo floue, glanée sur le Net, car je ne l’ai pas conservé.

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En renouant avec la presse écrite, je redécouvre un vrai bonheur, et la souffrance qui est son corollaire. Je te fais un aveu : depuis toujours, pour moi, écrire est douloureux. Chaque article bouclé est une petite montagne que j’ai déplacée. Je m’y attelle parce que ce n’est pas vain, il y a au bout, lorsque c’est terminé, une sensation que rien d’autre, jamais, n’a pu me procurer. La radio m’amuse, la télé me questionne, mais je n’ai de passion que pour le papier.

Avec InfoMatin, en plus, il me faut apprendre à gérer l’urgence. Jusque là, en quotidien, je n’ai connu que des « one shot » : mon tout premier article dans le Figaro, une pige pour le Matin, une autre pour Libération. Cette fois je rends plusieurs articles par semaine et il arrive, même en théâtre, que l’actualité soit chaude. Je me souviens, au tout début, de ma première « nécro ». Deux heures, montre en main, pour écrire un article de fond sur Jean-Louis Barrault… Sueurs froides… J’étais allée l’écrire sur place, au journal, parce qu’avant les mails et l’Internet, on ne pouvait que rendre les papiers en main propre.

 

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Je fais sans cesse la navette avec mes livraisons, stockées sur un support qui, à l’époque, est révolutionnaire. Ça s’appelle une disquette. Du coup, j’ai acheté un ordinateur, un Mac Performa d’occasion, une vraie pièce de musée ! La perte de temps est considérable car les locaux sont à Ivry, dans l’imprimerie du Monde, actionnaire du journal.

Entre mes articles, mes soirées au théâtre et mes interventions sur Europe 1, je suis à nouveau dans un tourbillon.

Et il n’y a que cette vie-là, qui me va.